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l’Afrique de Sarkozy ,un déni d’histoire

Quel livre lisez-vous? Quel film vous a dernierement epate? parlons-en.
Essaba
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l’Afrique de Sarkozy ,un déni d’histoire

Message par Essaba » oct. 31, 08 4:01 pm

Un an après le discours controversé de Nicolas Sarkozy à Dakar, cinq
universitaires français et africains reviennent sur les déclarations du
président français et fustigent « un déni d’histoire » basé sur « une
vision manichéenne, raciale et paternaliste » de l’Afrique.

Dans
un livre dirigé par Jean-Pierre Chrétien, intitulé L’Afrique de Sarkozy
- un déni d’histoire [1], ces historiens se penchent sur les « propos
littéralement stupéfiants » qu’avait tenus le chef de l’Etat, et
notamment sur sa thèse selon laquelle « l’homme africain n’est pas
assez entré dans l’Histoire ».

Nous reprenons ci-dessous un extrait de la contribution du professeur Ibrahima Thioub de l’Université de Dakar.


Dès
le début de ses relations à l’Afrique, le monde européen s’est servi de
l’identifiant pigmentaire pour nommer les Africains. Cet usage se
systématise avec la dynamique atlantique et acquiert une dimension
idéologique qui participe à construire la figure identitaire associant
« Africains » à « Noirs » et dans certaines circonstances à la
condition servile. Les textes du XVe siècle en témoignent abondamment.
Mais c’est au cours du XVIIIe siècle, lorsque la traite atlantique des
esclaves atteint son apogée, qu’un discours idéologique
systématiquement négatif en rapport avec le critère pigmentaire
structure la production discursive sur l’Afrique et ses habitants. La
connexion est si forte avec l’économie atlantique qu’elle produit une
synonymie entre Esclave et Noir. Pour produire tout son effet
recherché, elle emprunte à la foi chrétienne, dominante en Europe, le
mythe de la malédiction de Cham qui permet de légitimer d’abord la
traite atlantique, puis la colonisation de l’Afrique, lancée et mise en
oeuvre par les nations européennes, de connivence avec certaines élites
africaines.

Les intérêts privés et publics impliqués dans le
trafic négrier, puis dans l’économie coloniale, ont senti très tôt la
nécessité de légitimer auprès de leur opinion publique la mobilisation
et l’investissement des ressources publiques dans les terres
lointaines. La presse et l’école, outils par excellence de façonnage de
ces opinions, ont été mobilisées dans ce sens.

« Sauver l’âme »
des Noirs, accomplir une « mission civilisatrice », mettre « à la
disposition de l’humanité » les ressources laissées en souffrance par
les « peuples primitifs », protéger les peuples de ces terres
lointaines contre « les pratiques barbares » de leurs « roitelets »,
sont le terreau idéologique qui a donné bonne conscience aux porteurs
de l’expansion de l’Europe qui soumettaient au régime de servitude ou à
la domination coloniale les peuples non européens. Impériaux ou
républicains, des plus radicaux au plus conservateurs, les pouvoirs
politiques européens de cette époque, adossés sur les lumières d’une
intelligentsia le plus souvent acquise à leur cause, n’ont jamais douté
de leur bon droit à se procurer les esclaves dont l’économie coloniale
américaine avait besoin ou à se tailler plus tard, dans une violence
souvent sans borne, des territoires coloniaux.

Les idéologues de
l’expansion européenne, sous ses versions esclavagiste ou coloniale,
n’ont cessé de travailler leurs opinions publiques, d’autant plus
faciles à convaincre que le meilleur de la science et de la foi de
l’époque donnait caution et bénédiction aux pires atrocités, exécutées
au nom des lumières d’une civilisation triomphant des ténèbres. Il
était bien sûr inconcevable que les ressources infinies dont regorgent
des continents comme l’Afrique soient laissées en friche, du simple
fait de « l’indolence, de l’oisiveté ou de la barbarie » de leurs
habitants !

Ce sont là les registres à partir desquels se
déploie la construction des mémoires hégémoniques en Europe, en rapport
avec son expansion outre-mer. Certes d’autres voix y ont, de temps à
autre, surgi pour en contester vigoureusement la validité, des
mouvements abolitionnistes aux militants anticolonialistes qui ont
contribué à la défaite des armées coloniales affrontant les mouvements
anticoloniaux, armés ou non, au lendemain de la Deuxième Guerre
mondiale. Ces déboires militaires n’ont point entraîné une remise en
cause des mémoires dominantes construites à partir de ces séquences
historiques. Le réveil contemporain des conflits mémoriels sur fond de
renégociation des identités et de reconfiguration des rapports
économiques, politiques et culturels, entre anciennes colonies et
anciennes métropoles d’une part et en leur sein même d’autre part,
rappelle éloquemment que les silences, les oublis, les refoulements ne
sont pas les meilleurs antidotes contre les traumatismes de l’histoire,
ni pour ceux qui prétendent en être les victimes ni pour ceux qui sont
indexés comme les bourreaux.

Le discours officiel français
continue de mobiliser ces répertoires qui ont nourri, des siècles
durant, les atrocités de la traite esclavagiste puis de la domination
coloniale. Les savoirs accumulés par la recherche n’ont point instruit
certaines élites politiques françaises du XXIe siècle, demeurées
prisonnières des perceptions sur l’Afrique qui, au XIXe siècle déjà,
étaient celles des officiers et administrateurs de « la France
impériale, irrésistible sur le plan militaire et arrogante sur le plan
idéologique »  [3].

À cette mémoire coloniale dont l’Occident a
du mal à se dépêtrer, le mouvement anticolonial a opposé une
contre-mémoire inscrite dans la même logique. Elle se contente d’en
renverser les termes, en lieu et place de leur subversion. Ainsi, dès
sa genèse, le leadership intellectuel du mouvement anticolonial s’est
emparé des instruments culturels de la domination coloniale qui
s’étaient révélés à ses yeux assez efficaces « dans l’art de vaincre
sans avoir raison ». La théorie de la Négritude dans une large mesure
et les thèses néo-pharaoniques dans une moindre mesure en sont les
expressions les plus achevées  [4]. Elles sont largement en usage en
Afrique et dans ses diasporas européennes et américaines, récentes et
anciennes.

En effet, la convergence entre ces deux lectures du
passé est plus forte qu’il n’y paraît. Elles structurent le débat selon
une logique manichéenne et surtout radicalement a-historique qui
oppose, dans une perspective essentialiste, l’Occident à l’Afrique. Là
où l’Occident se cherche une bonne conscience et une légitimité dans
son intervention, considérée par ses idéologues comme salvatrice pour
le continent « noir », l’Afrique se positionne alors en victime de la
violence esclavagiste et coloniale qui aurait ôté à ses sociétés «
précoloniales » l’harmonie millénaire dans laquelle elles auraient
vécu. L’Occident, qui paradoxalement fonctionne comme référent
universel, aurait été par ailleurs instruit des choses de la
civilisation dont il se prévaut par l’Afrique des Pharaons. Ce sont
donc là les deux versants d’un même savoir produit à partir de « la
bibliothèque coloniale », assidûment fréquentée par les idéologues de
la colonisation et par ceux du nationalisme africain.

Pourquoi
un demi-siècle après les indépendances africaines et après plus d’un
siècle de recherche historique, ce discours reste-t-il encore si
fortement d’actualité de part et d’autre de la Méditerranée ? La toute
première réponse qui vient à l’esprit est que le savoir historique
critique, chargé de sa déconstruction, ne s’est pas suffisamment
développé ou, pire, qu’il est demeuré lui-même enfermé dans les
logiques mémorielles. Il ne fait pas de doute qu’au cours des dernières
décennies l’histoire des mondes atlantiques a connu un essor fulgurant
pour réintroduire la complexité dans les processus historiques et
battre en brèche les clichés et formules propres à certaines lectures
mémorielles du passé [5]. Mais sans doute aussi la dissémination de ce
savoir dans les opinions publiques demeure limitée. Toutefois, aussi
fondamentales soient-elles, ni la production d’un savoir critique
opposable aux mémoires, ni sa large diffusion au sein des opinions
publiques n’épuisent la question de la perpétuation de l’arrogance des
idéologies de domination forgées par des siècles de relations
asymétriques.

Les savoirs producteurs d’une mentalité africaine
pigmentaire, mystique, religieuse, sensible, ne relèvent point d’un
déficit de culture historique. Ce discours qui drape l’Afrique dans les
mythes de l’enfance du monde est au service d’intérêts qui n’ont rien
de mythique. Au demeurant, s’il a déjà servi à légitimer les conquêtes
coloniales du XIXe siècle, voire les traites esclavagistes, depuis les
dernières décennies, nombreux sont les régimes politiques africains et
leurs élites gouvernantes, du politique à l’académique, qui ont
manipulé cette lecture nativiste de l’Afrique pour légitimer la
brutalité de leur pouvoir, soutenu par des réseaux qui ne
s’embarrassent pas de la couleur de peau ou de la nationalité.

Ce
type de savoir qui réduit les conflits à des catégories a- historiques
et fige l’un des protagonistes dans une nature immuable, obstacle à
tout essor, permet de jeter un voile sur les enjeux réels des relations
entre les peuples et en leur sein. Il confère légitimité à la brutalité
des pouvoirs au nom de la mise en oeuvre de politiques déclinées sous
les vocables de « mise en valeur » à l’époque coloniale, de «
développement » depuis la fin Deuxième Guerre mondiale ou «
d’humanitaire » plus récemment. Ce type d’intervention qui prend la
figure d’une action missionnaire, relayée par les élites autochtones
intéressées, stigmatise toute opposition à sa philosophie, à ses
objectifs et à sa mise en oeuvre comme un refus du progrès contre
lequel l’usage de la violence est légitime. La majorité des pouvoirs
africains issus du mouvement anticolonial ont adopté et adapté ce
savoir qui fait corps avec la violence, en exhumant et en exaltant «
des traditions africaines » mises hors de toute temporalité.

Le
retour en force de ces questions dans les débats publics contemporains,
la résurgence des problèmes identitaires et mémoriels entre anciens
colonisateurs et colonisés et au sein des sociétés post-coloniales du
Nord et du Sud révèlent la capacité de contestation de ceux qui ne se
reconnaissent pas dans les récits identitaires des États-nations
contemporains. Pour ce qui est de l’Afrique, l’effritement du consensus
au sein du mouvement anticolonial et la crise des États-nations sont à
l’origine de l’émergence et de l’affirmation dans les espaces publics
post-coloniaux de groupes sociaux qui ne se reconnaissent plus dans les
régimes d’historicité qui ont gouverné l’Afrique des indépendances. Ces
groupes mobilisent leurs propres répertoires, construisent des mémoires
qui visent à saturer les espaces publics en s’affichant sur les
supports les plus inattendus : musical, mural, corporel, etc. Ils se
servent de langages qui combinent cosmopolitisme et ancrage dans divers
terroirs allant de l’ethnique au religieux. Un peu partout en Afrique,
ils ont montré leur capacité à produire une violence tout aussi
débridée que celle des régimes politiques qui tentent de les inscrire
dans des territoires « nationaux », porteurs de peu de sens dans un
vécu quotidien le plus souvent pétri de privations. Les grilles de
lecture habituelles nous aident très peu à décrypter ces langages. Les
signes de rupture qui marquent très progressivement la lente évolution
de l’historiographie de l’Afrique reflètent la difficulté récurrente à
écrire le passé de ces conflits mémoriels et identitaires.

Ibrahima Thioub

http://ldh-toulon.net/spip.php?article2923" target="_blank"> [url]http://ldh-toulon.net/spip.php?article2 ... p#/a#ed_cl#
"Quand les blancs sont venus en Afrique, nous avions la terre et ils avaient la Bible.Ils nous ont demandé de prier avec les yeux fermés; quand nous avons ouvert les yeux, les blanc avaient la terre et nous avions la Bible." Jomo Kenyatta



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