Interwiew: Habib K.: à propos du coup d'Etat du 24 décembre 1999 "IB est le cerveau militaire, ADO, le cerveau politique"
"Vous avez parlé des événements des 7 et 8 janvier 2001. De quoi s`agissait-il ?
On devait renverser le pouvoir. On avait pris la radio et la télévision, à Abidjan, en moins de trente minutes, et moi, j`avais tout ratissé, depuis la frontière jusqu`à Bouaké. Mais, malheureusement, au moment où j`atteignais cette ville, j`ai appris que mes hommes avaient été délogés de la radio. Tactiquement, je ne pouvais plus avancer, parce que je ne connaissais plus la position de mes troupes à Abidjan. Et ceux de Bouaké, qui devaient venir m`attendre à l`entrée de I`agglomération, n`étaient pas au rendez-vous, à l`heure indiquée. Nous avons donc rebroussé chemin, malgré la menace des Alpha Jet de l’aviation ivoirienne."
Cette phrase est du Sergent Chef IB extraite de l'interview qu'il a accordée à Afrique Magazine. C'était en décembre 2007.
Huit ans après ce qu'on a qualifié de "complot de la mercedes noire", nous avons rencontré le Caporal Chef Habib K., un des meneurs de cette insurrection. Il présente IB comme le cerveau de cette tentative de coup d'Etat.
Pour lui, la polémique sur la paternité de la rebellion n'a pas sa raison d'être. C'est aussi sa position sur le putsch du 24 décembre 1999 qui a emporté Henri Konan Bédié, dont il attribut la paternité à ADO et IB.
Lesoleilinfos: Nous sommes dans la semaine du huitième anniversaire du complot de la mercedes noire, quel souvénir avez -vous de cet événement?.
Caporal Chef Habib K.: Vous parlez de complot? Je pense que Dieu ne l'a pas voulu sinon on aurait chassé Gbagbo Laurent du pouvoir. Un de mes frères d'arme l'avait déjà dit à un de vos confrères. Ce n'était pas un complot. La Côte d'Ivoire était pourrie. Elle l'est toujours. Des élections calamiteuses suivies d'un charnier de 57 corps découvert dans la broussaille à Yopougon avaient fragilisé l'unité nationale. La xénophobie et l'ivoirité étaient toujours servies aux populations. L'injustice, le népotisme, le clientélisme et le sefonnisme étouffaient nos compatriotes. On avait pas le choix que d'opérer un changement.
Pourquoi le changement n'a pas eu lieu?
Le changement n'a pas eu lieu parce que la stratégie n'a pas marché. C'est tout. Il y avait des traîtres parmi nous qui n'ont pas joué leur partition. Or vous savez que dans pareille opération, il faut qu'il y ait plus de courageux que de peureux.
Qui pilotait les opérations?
IB avait chargé le capitaine Gaoussou Soumahoro de conduire les opérations au niveau d'Abidjan. Quant à Bouaké, c'est le capitaine Karim Ouattara du 3eme bataillon de Bouaké qui était chargé de cette zone. Notre poste de commandement était à Cocody Danga, chez le Ministre Amon Tanoh qui défendait les intérêts du mentor. C'est donc au PC, que nous avons reçu les portables et l'argent de poche. Soro Guillaume, actuel Premier Ministre y avait pris une part plus ou moins active. Il servait de couverture au Ministre Amon Tanoh, parce que tout le monde ne devait pas savoir qui était derrière nous.
Vous avez parlé de mentor, de qui s'agissait-il?
(Il reste un moment pensif) C'est un secret que je ne peux pas dévoiler pour le moment. Je suis vraiment désolé.
Etes-vous en contact avec IB?
Notre dernière rencontre remonte à 2003 à Ouagadougou, deux mois avant son arrestation à Paris. Depuis, je ne l'ai plus revu ni entendu.
Et Guillaume Soro?
Lui non plus. Je ne veux plus avoir de contact avec des gens qui refusent de rentrer dans la République.
Le Premier Ministre Soro est dans la Republique...
Non, il n'a qu'un pied dedans. Etre Premier Ministre et Chef rebelle, moi je n'ai pas encore vu cela.
Les problèmes que vous évoquiez tout à l'heure n'étaient pas visibles avant l'arrivée de Gbagbo au pouvoir.
(Soudainement) Quoi! C'est justement sous Bédié que ça a commencé. C'est pourquoi nous l'avons chassé. Contrairement à ce qui a été rapporté dans un journal, IB était bel et bien le cerveau du coup d'Etat de decembre 1999. Est ce que vous ne vous rappelez pas de la phrase" d'ailleurs vous n'êtes plus président"? C'est IB qui l'a prononcée à la résidence du Président Bédié à Cocody Ambassade devant lui et ses ministres. Je ne comprends pas pourquoi des gens veulent le disculper. Vous pouvez demander à Bédié. Il est encore en vie.
D'ailleurs, je me rappelle comme hier que IB avait donné instruction à Zaga Zaga qui était embusqué avec d'autres éléments autour de la résidence. C'était le 24 décembre à 5h du matin alors qu'on jouait avec l'esprit des gars de Bédié en attendant que le Général Guéï rentre à Abidjan. Donc il fallait trouver les astuces pour "tuer" le temps. IB avait dit à Zaga Zaga: "si je rentre dans la résidence et que pendant un moment vous ne parvenez plus à me joindre sur mon téléphone, considérez que je suis pris en otage, sans réfléchir, ne tenez pas compte de ma présence dans les locaux, réduisez la résidence en cendres". Diarassouba, autrement dit Zaga Zaga et ses hommes étaient lourdement armés.
Vous êtes en train de présenter IB comme le cerveau de ce coup d'Etat, alors que d'aucuns parlent plutôt de Boka Yapi et de Diomandé Souleymane dit La Grenade?
C'est la stratégie qui a prévalu qui font que des gens disent cela. Je les comprends La Grenade était à la poudrière, Boka était le chef du groupe d'appui et IB était le vrai meneur. J'étais dans son groupe. Quand on prenait un coin, c'est lui qui désignait qui devait contrôler cette zone. Déjà le soir du 23 décembre, nous avons reçu à la poudrière de l'ancien camp militaire d'Akouédo le Colonel Major Mathias Doué qui était le Chef de Cabinet Militaire du Ministre de la Defense Bandama N'Guetta. Il nous a promis la somme de 50 millions plus un stage d'officiers en Allemagne si nous acceptions de renoncer à notre soulèvement. IB a refusé. Pour tout dire, IB n'était que le cerveau militaire. Il y avait des cerveaux politiques. IB n'avait aucun moyen pour nous financer. Il avait le courage et la volonté, c'est vrai.
Mais nous rendons grâce à Dieu mais nous rendons surtout grâce à ADO(Alassane Ouattara, Président du RDR, NDLR) C'est lui qui nous a aidé financièrement. Je pense que le peuple doit lui être reconnaissant pour avoir contribuer dans l'ombre à mettre fin à un moment donné à la souffrance du peuple. C'est un homme de parole et d'honneur. Il a dit quand il était en France: " Je rentrerai avant la fin de l'année". Et il l'a fait. Il n'a pas accepté de trahir ses collaborateurs qui étaient emprisonnés à la MACA. Il nous a appelé le 23 décembre aux environs de minuit pour nous dire de ne pas lâcher prise, sinon si Bédié revenait à contrôler la situation, qu'il nous ferait la peau.
On savait dès lors que c'est un homme averti qui venait de parler. Sinon nos revendications concernant l'argent de nos frères d'armes qui revenaient de la mission de maintien de la paix en Centrafrique étaient certes des problèmes réels mais on avait notre plan. On nous a dit que Bédié n'accepterait pas les revendications que nous avons ajoutées à pour nous. C'est en entrant dans la résidence où la discussion finale devait avoir lieu que IB a ajouté la revendication concernant la libération des prisonniers politiques du RDR(Rassemblement des Républicains de Alassane Ouattara, NDLR). C'est à la main qu'il a écrit, sur une voiture qu'on avait arraché à quelqu'un, c'était un véhicule administratif.
Pourquoi votre choix s'est porté sur Guéï alors qu'il y avait des généraux sur place à Abidjan? Vous auriez pu désigner quelqu'un parmi vous pour conduire la transition, comme c'est le cas actuellement en Guinée?
Justement, notre choix n'était pas Guéi mais plutôt le Général Lassana Palenfo. Il a désisté, ADO nous a alors conseillé le Général Guéï qui bénéficiait de sa générosité quand il tirait le diable par la queue à Gouessesso.
Le 24 décembre est pratiquement le seul coup d'Etat que vous avez réussi parmi tant de tentatives.
Vous parlez comme si nous on a fait de notre métier les coups d'Etat. C'est pas bien. Souvent les coups d'Etat s'imposent quand la démocratie fout le camp. L'exemple de la Guinée est salutaire. Jerry Rawlings a été applaudi en son temps. Le facilitateur de la crise ivoirienne, Son Excellence Monsieur Blaise Compaoré est arrivé à la suite d'un coup d'Etat. Le président malien, Amadou Toumani Touré a reussi à instaurer la démocratie au Mali. C'est ce que nous voulions pour notre pays.La Côte d'Ivoire est résolument engagée dans la voie de la paix après des années de conflit armé.
Etes-vous aujourd'hui dans une logique de réconciliation et de retour dans la République?
Moi je suis déjà dans la République depuis la loi d'amnistie. Je suis à Abidjan. J'ai introduit mon dossier pour réintégrer les Forces de Defense et de Sécurité, J'attends le résultat D'ici là, je fais mes activités. J'exhorte tous les frères exilés à rentrer dans la République, le Commandant Adama Sidibé, Le Général Mathias Doué, le Sergent Chef IB, et tous les autres. La liste est longue mais ceux que j'ai cité sont les plus connus. Je souhaite vivement que la paix définitive revienne en Côte d'Ivoire et que tous les enfants se pardonnent mutuellement.
Interview réalisée par
Alima Ouattara